Des bonnets phrygiens sur la Seymaz / par Thierry Ulmann (Chef de Groupe)

Le PDCom était à l’ordre du jour du Conseil Municipal de Chêne-Bougeries ce 23 septembre 2021. Plusieurs dizaines de citoyens de la Commune s’étaient rendus à la salle communale pour assister à ses délibérations. Une fois n’est pas coutume, le Conseil allait se dérouler à guichets fermés, alors qu’en général il ne suscite que l’apathie, polie, de ses citoyens. Une partie de ceux-ci s’était miraculeusement déplacée, car elle était très remontée contre la volonté du Conseiller Administratif, M. Jean-Michel KARR, de soumettre ce texte à l’approbation des municipaux. Mais pourquoi une telle forêt de piques s’est-elle dressée à l’évocation de cet acronyme abscons qu’est le PDCom ?

On parle ici d’aménagement du territoire et du patrimoine de nos concitoyens. La Loi fédérale sur l’Aménagement du Territoire règle au niveau national les principes généraux de la planification du développement de notre pays. Les cantons les adaptent aux sensibilités régionales, notamment au moyen d’un outil, le plan directeur cantonal (PDCant). Ce plan comporte une série de cartes, doublées de textes explicatifs, décrivant par un jeu savant de couleurs, ce qui doit être construit ou protégé sur le territoire cantonal, et avec quelle densité. Le Canton décrète quelles sont les zones agricoles, de forêts, de villas et où l’on peut construire des immeubles. Il décrit la situation actuelle et celle vers laquelle il souhaite tendre. Dans une conjoncture où la population ne trouve pas de logements bon marché en suffisance, on comprend rapidement quelle est la direction générale: trouver de l’espace libre où, à terme, des promoteurs pourront construire des immeubles répondant à ces besoins. Le PDCom est enfin un document que la Commune doit rédiger et qui complète, au niveau communal, le PDCant. A Genève, les compétences communales en matière d’aménagement étant fort réduites, le travail municipal consiste à concrétiser l’intention générale cantonale au niveau local un utilisant les espaces de liberté accordés par le PDCant.

 

Toutes les communes genevoises ont un PDCom dit de première génération, sauf Chêne-Bougeries qui, en 2011, a réussi le tour de force de voir son PDCom refusé par le Canton pour non-conformité. M. Jean-Michel KARR, devenu conseiller administratif en juin pour Les Verts et en charge du territoire, a été chargé de réparer ce manquement regrettable. Pendant sa première législature, de 2011 à 2015, il n’a strictement rien fait… A sa seconde législature, il s’est réveillé et a commencé à y travailler. Le texte a fait l’objet de multiples commissions, mais comme il s’enquillait joyeusement dans la Mer des Sargasses, la majorité PLR d’alors au Conseil Administratif a tapé du poing sur la table et exigé que soit rédigé un cahier des charges. La législation oblige en effet la Commune à rédiger un tel texte comme préalable nécessaire pour progresser dans la rédaction du PDCom. En son absence, il n’était pas possible d’avancer autrement qu’en tournant sur place et en rond, une direction très appréciée de cet élu. Après les élections de 2020, le PLR a perdu la majorité au Conseil administratif et depuis, M. KARR donne toute la mesure de son efficacité en portant le texte sur les fonts baptismaux du Conseil Municipal. Le résultat est comme de bien entendu un désastre politique et un affront à nos communiers.

 

Il faut d’abord donner quelques explications techniques avant de poursuivre notre histoire. Le territoire cantonal est divisé en plusieurs zones, dont la zone villa et la zone de développement. Dans la zone villas, on construit des villas, avec un indice d’occupation des sols de plus ou moins 0.22. En très gros, si on dispose d’un terrain de 1000m2, une villa de 220m2 habitables peut être construite. Le prix de vente du terrain n’est pas contrôlé par l’Etat. En zone de développement, en revanche, la densité de construction est plus élevée (entre 1.2 et 1.6). Le propriétaire de 10’000m2 de terrain dans cette zone peut, par exemple, construire 15’000m2 de plancher (1.5 de densification). Cela signifie aussi que son immeuble doit monter verticalement pour empiler les m2 et donc que des immeubles, et plus des villas, y soient érigés sur six ou sept étages. La contrepartie exigée par l’Etat est que le m2 carré de terrain nu voit son prix limité et que les autorisations de construire ne sont données que si certains appartements seront loués à des prix bas, contrôlés par l’Etat pendant une certaine période.

 

A priori, il s’agit d’une loi sociale sexy qui pousse fermement les propriétaires de villas à s’entendre pour s’associer et construire un immeuble de rendement. En pratique, cela ne se passe pas comme cela. Si le Canton peut transformer d’un coup de baguette magique législative quelques parcelles en zone de développement, leurs propriétaires ne se sentent pas pour autant pousser des ailes de promoteurs. Ils doivent négocier entre eux, s’entendre sur le projet et trouver des financements. Tout cela prend du temps et pendant ces palabres, ces propriétaires peuvent déménager pour des raisons professionnelles, divorcer ou parfois aussi mourir. Comme ils ne peuvent plus tirer un bon prix de leur bien, ils le louent ou le laissent en l’état, et rien ne bouge… jusqu’à ce qu’un promoteur, plusieurs dizaines d’années après, propose aux propriétaires exténués et découragés un prix misérable pour acquérir leurs bicoques tombées en ruine. Un exemple parlant est le chemin de la Chevillarde du côté de Chêne-Bougeries, en cours de construction, mais déclassé de la zone villa en zone de développement en 1957 !  La loi sociale est en fait une superbe machine de guerre favorisant des investisseurs disposant de liquidités importantes. Pour cette raison, les propriétaires de villas n’aiment pas finir dans une zone de développement. Et les Verts n’aiment pas la zone de développement, parce qu’on y construit beaucoup en hauteur et en largueur, en détruisant la nature. Et comme Chêne-Bougeries est peuplée pour deux-tiers de propriétaires et d’électeurs à la sensibilité verte (certains sont les deux), cette commune n’aime pas construire en général ! Et comme par hasard, nous n’avons pas de PDCom...

 

Quelle gaffe a donc bien pu commettre notre conseiller administratif bien-aimé ? Le PDCant prévoit que quelques parcelles seront éventuellement destinées à être transformées un jour en zone de développement dans notre commune. Nos citoyens le comprennent, même s’ils ne l‘approuvent pas. Ils réprouvent en revanche que le conseil administratif, leur élu de proximité, ait délibérément choisi de modifier indirectement le PDCant en épargnant certaines parcelles du déclassement et en proposant d’autres à subir ce sort. Si pour certains secteurs, la vision urbanistique peut se comprendre, par exemple en évitant un déclassement s’enfonçant comme une écharde dans le cœur de Conches pour le laisser en bordure de la route de Malagnou, d’autres sont des modifications sans justification.

 

Il faut donc sortir de ce cul-de-sac dans lequel M. KARR s’est fourvoyé. Il ne le pourra malheureusement pas tout seul, car l’impasse a été patiemment construite par la politique jusqu’au-boutiste des Verts. Le cœur du problème vient du fait que le canton veut introduire des zones de développement dans un territoire qui n’y est pas adapté et qui a malgré tout beaucoup construit. Etonnamment, en raison de la modification de l’art 59 al 4 LCI (densification de la zone villa), l’habitat groupé au sein même de la zone villa a permis d’accueillir de nouveaux habitants, malheureusement au prix du mitage de cette zone de l’intérieur et sans direction réfléchie. Constatant ce défaut, le PLR cantonal a redonné le pouvoir sur cette question aux communes pour rétablir la paix dans cette zone, en demandant aux communes genevoises de planifier dans leur PDCom les zones destinées aux villas traditionnelles et celles pour les «villas urbaines», petits immeubles de la zone villa. Cette liberté d’action est à la libre disposition des communes pour autant qu’elles l’intègrent dans leur PDCom d’ici au 31 décembre 2022. Pour les développements plus importants," Il existe aussi à Chêne-Bougeries des zones aptes à recevoir des immeubles que les propriétaires souhaitent développer. On citera notamment la parcelle Grosjean, sur laquelle j’ai déjà écrit ici. A chaque fois, les Verts ont tout fait et M. KARR a mis toute son énergie, pour torpiller ces développements et les réduire le plus possible à la portion congrue. Or, tout logement qui n’a pas été créé sur ces parcelles, déclassées depuis longtemps, et sur lesquelles les propriétaires voulaient construire, repoussera immanquablement sur une autre parcelle come un champignon un jour de pluie battante. La solution PLR est qu’il faut plutôt accompagner les déclassements voulus par les propriétaires et rendus inévitables par la planification cantonale, plutôt que de s’y opposer fanatiquement. Le résultat de ces oppositions n’est pas la protection de la Commune, mais une inéluctable destruction renvoyée à plus tard. Les Verts se targuent de développement durable: fasse le Ciel qu’ils puissent réfléchir à un terme plus éloigné que de s’assurer un siège à la prochaine élection en vue en prétendant vouloir protéger notre chère Commune.


Le lien sur le site de la commune avec le PDCom dans sa version du 29 avril 2021, soumise au vote du Conseil Municipal (https://chene-bougeries.ch/vivre/amenagement-du-territoire/plan-directeur/). La lettre du Canton pour contrôle de conformité y est jointe: elle renvoie à une version d’octobre 2020 et émet un certain nombre de réserves sans quoi notre PDCom ne sera pas accepté. La musique de 2011 semble donc se rejouer !